• Article 1

    Ma découverte des ordinateurs de poche

    Publication originale le 1/5/2007

     

    Mes années d’études

     

    Ma calculatrice scientifique

     

    Lors de mes études secondaires supérieures, j’ai atterri dans une classe de section Générale Scientifique. J’avais choisi cela parce que j’étais moins nul en math qu’en littérature. Je me souviens alors de ma première rencontre avec une de ces machines.

    Comme nos notions de math devenaient du sérieux, on avait tous besoin d’acheter une calculatrice scientifique qui permettait d’avoir les fonctions sinus, cosinus, tangente, log, ln, les conversions d’angle en degrés, radians et grades, les puissances etc. C’était en 1980 (j’avais 16 ans) et certains de mes collègues étudiants avaient une TI-30 à affichage luminescent rouge, très joli mais grand consommateur de piles carrées de 9V. Mon copain Jeff avait trouvé à La Migros (une grande surface) une calculatrice qui convenait au prof de math (Migros M-OFFICE ESR-110) mais je me demandais si c’était vraiment du sérieux : pensez donc, une calculatrice d’une marque inconnue et vendue en grande surface, du jamais vu à cette époque ! En voyant Jeff pianoter sur sa calculette, j’ai vite remarqué qu’elle était vraiment très bien : écran à cristaux liquides jaunes (nouvelle technologie), piles au lithium inusables (également tout nouveau), machine ultraplate pour l’époque et des touches de plusieurs couleurs (blanc, noir, bleu, rouge) pour s’y repérer du premier coup d’oeil. Du coup, il m’en fallait une et je suis allé de ce pas l’acheter. En plus, elle était beaucoup moins chère que les concurrentes. Cette machine m’a accompagnée pendant 4 ans sans me faire défaut.

     

     

    Photo 1 : TI-30

      

    Photo 2 : Migros M-OFFICE ESR-110

     

    Découverte du Sharp PC 1211

     

    Quelques semaines après ce début d’année, donc, en plein cours de math, et alors que le prof était occupé à écrire au tableau, voilà-t-y pas que survient un bip depuis le fond de la classe. Le prof se tourne et ne voit rien de suspect. Tout le monde était un peu intrigué : qui pouvait avoir une machine ou une montre capable de faire « bip » ?! Un peu plus tard, c’est carrément une série de 10 bip qui fait retourner toute la classe et les 20 regards plus celui du prof convergent vers un nommé Neklan, étrangement occupé à essayer d’étouffer la sonnerie en question ! « Monsieur Neklan, je vous prie de cesser de jouer et d’être attentif ! ». Dès que la récré a sonné et que le prof est parti, tout le monde s’est rué vers le copain Neklan, pour voir ce qu’il cachait de si curieux. Et c’est là que j’ai vu pour la toute première fois un ordinateur de poche, le Sharp PC 1211. Une étrange machine, avec un format paysage, un pavé alphanumérique ( ?), aucune touche de fonction mathématique ( ?!), qui faisait bip-bip ( ?). Il nous explique que c’est un ordinateur de poche et donc qu’il a les mêmes fonctions qu’un ordinateur de table. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais en 1980, presque personne n’avait jamais vu d’ordinateur de table, car cela aussi venait tout juste d’apparaître sur le marché, avec les IBM PC, je crois.

    Quand on s’est étonné de l’absence de touches de fonctions, il nous explique qu’en fait il n’y en a pas besoin : il suffit d’écrire « SIN 45 » pour avoir le sinus de 45°. Génial, incroyable !

    Pour les mémoires, il nous explique qu’il y en a des centaines !!!

    Si on écrit « A=12 » puis « ENTER » le chiffre 12 est mémorisé dans la variable A. Et ainsi de suite avec les 26 lettres de l’alphabet. De plus, avec les mêmes lettres, on peut créer des multiples variables de tableau : « A(1)=12 ; A(2)=123 ; etc. » et ainsi de suite. À partir de là, on peut faire des calculs sur les variables, par exemple « A+B ». Absolument génial !!! On était tous baba ! En fait la limitation de place en mémoire dépend de la taille de la mémoire, qui est alors de 1424 « pas de programmes ». En fait, non pas 1 mémoire, ni 2, mais … 178 mémoires flottantes + 26 mémoires permanentes !

    Et quand il nous a parlé de la programmation, on est tous tombé à cul, comme on dit chez nous.

    En math, quand on fait une étude de fonction, on finit toujours par faire un graphique, et pour cela on devait calculer, pour x allant de -10 à 10 (par exemple), combien valait Y(x) pour chacune de ces valeurs de x.

    Par exemple : y(x)=4x2 + 2x – 12,456

    On arrivait donc à un tableau de 2 colonnes, une des X et l’autre des Y correspondants. Concrètement il fallait employer la même formule de 10 à 20 fois. C’était très embêtant, cela prenait beaucoup de temps et il y avait un grand risque d’erreurs. Surtout que les fonctions étaient rarement aussi simples que cet exemple.

     

    Quand notre Neklan national nous a montré qu’il suffisait d’écrire une seule fois la formule, et que l’ordinateur faisait les 20 calculs automatiquement, grâce à un petit programme de 3 lignes, je ne vous dis pas le degré d’excitation de tout notre groupe. On n’en revenait pas. Cette machine pouvait calculer très vite, sans erreur, et surtout de manière intelligente, en quelques secondes, ce qui nous aurait pris entre 5 et 10 minutes normalement.

    Comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi une imprimante interface CE-122 qui permet d’imprimer les listings des programmes, pour avoir une copie de ceux-ci, donc une espèce de sauvegarde, mais cet étrange « interface » permettait de connecter l’ordinateur à un enregistreur de cassette pour sauvegarder les programmes et de recharger ceux-ci en mémoire !!! Du jamais vu ! De l’impensable !

     

    En fait, et en y réfléchissant maintenant, 27 ans plus tard, lorsque je compare le Sharp PC 1211 à toutes les autres machines qui ont suivi, y compris les calculatrices programmables, je peux dire qu’il était parfait du premier coup. Vraiment parfait. Tout y était présent : écran LCD, faible consommation, mémoires multiples, programmation en Basic, le premier langage facile et universel, complet, avec possibilité de mémoire de masse et imprimante-interface dédiée très pratique.

    Réflexe immédiat : j’en veux une !!!

    Seulement voilà : son seul défaut était le prix : environ 400 francs suisses de l’époque (1250 FF TTC), ce qui doit faire genre 464 € actuel. Pour un étudiant désargenté, le rêve s’envolait. Le papa du Neklan était médecin, alors…

    En plus de cela, à cette époque on a appris que ces calculatrices programmables (TI-57 à TI-59, HP 41) et maintenant ce Sharp PC 1211 étaient interdits aux contrôles et aux examens, soi-disant pour ne pas défavoriser ceux qui n’en avaient pas, la plupart d’entre nous a donc renoncé à en acheter. Je veux bien que ce soit vrai, mais d’un autre côté, cela a freiné le progrès, et il y a toujours eu à toute époque des esprits chagrins qui s’opposaient aux avancées techniques.

     

    Photo 3 : Sharp PC 1211

     

    Achat manqué du Sharp PC 1500

     

    En 1982, un des copains de classe achète un Sharp PC 1500. Waw la bête! Il est plus gros que le précédent, un écran LCD gris et plus jaune, il fonctionne avec 4 piles AA moins chères que les piles au lithium. Sa mémoire a un peu augmenté, avec 1850 « pas de programmes », qui deviendront plus tard les fameux octets. Cette machine a donc 1850 octets, ou 1,850 kilo-octets, qu’on écrivait 1,850 k.o.

    Le Sharp PC 1500 arrivait donc sur le marché 2 ans après le Sharp PC 1211.

    Ce nouveau Sharp respirait la solidité. Pensez donc : châssis en plastique très solide, capot supérieur en aluminium brossé, un poids plus important.

    Lui aussi a une imprimante interface cassette dédiée, mais elle imprime en 4 couleurs ! Et c’est en fait une véritable table traçante qui permet d’imprimer des graphiques !

    Un jour devant mon enthousiasme admiratif, le copain Daniel me dit : « Si tu veux, je te le prête cet après-midi » ?! Bien sûr que je veux !

    Rentré à la maison, j’ai épluché le mode d’emploi et j’ai essayé de taper quelques programmes dessus, mais cela n’a pas été aussi simple. J’ai dû lui téléphoner plusieurs fois pour qu’il me dépanne et en fin de compte cela a marché. Le principal problème que j’ai rencontré, si je me souviens bien, c’était qu’il fallait passer du mode « Pro » pour écrire les programmes, puis passer au mode « Run » pour les faire exécuter.

    Fort de cet essai, cette fois je me suis dit : « Il m’en faut un ! ». Devant mon excitation, mon père, dans un accès de bonté et de générosité fort rare, m’a dit : « Si tu veux, cet après-midi on descend en ville et je te paye ta machine ». Aussitôt dit, aussitôt fait. On se rend directement chez Kramer, une papeterie spécialisée qui vendait des fournitures de bureaux, y compris des calculatrices et le fameux Sharp. Je demande à la vendeuse, qui me dit qu’ils en avaient, mais plus pour le moment, et on est reparti bredouille. Au lieu d’insister un peu pour en commander un, mon père a gentiment oublié l’idée. Quelle déception.

     

    Photo 4 : Sharp PC 1500

     

    Mon premier ordinateur de poche : un Casio PB-700

     

    Les études continuaient, je ne pensais plus aux ordinateurs de poche, mais plutôt à la montagne et à la spéléo. C’est comme si j’en avais marre d’étudier tout le temps des math depuis 5 ans, et que j’avais besoin d’un grand bol d’air pur et de grands espaces. Quand vous êtes sur une paroi avec 300 mètres de vide en dessous et rien que le ciel au-dessus, il n’y a pas d’endroit plus sauvage et plus silencieux sur terre. Avec le copain Van-Hove, mes deux frères et de temps en temps d’autres amis, on faisait aussi bien de la varappe en petites falaises, que de la spéléo dans des grottes non touristiques. Là aussi, quel calme. Plus d’intégrale, ni de calculs en série. La liberté avec un grand L !

     

    Fin 1983 sort le Casio PB-700. Mon frère l’achète, alors qu’il est lui aussi en filière scientifique. Il faut dire qu’il est beaucoup moins cher que les Sharp. Si mes souvenirs sont bons, le Sharp PC 1500 coûtait environ 550 Sfr (703€ actuel), alors que le Casio environ 400 Frs (413€ actuels). Soit nettement moins cher, pour une puissance supérieure. Pensez donc : un écran de 4 lignes de 20 caractères entièrement matriciel, ce qui veut dire qu’il autorise la création de graphismes en tout genre : c’est le premier écran graphique. Sa mémoire de base est de 4 ko extensible à 16 ko. La carcasse a presque les mêmes dimensions que celle du Sharp PC 1500, mais elle ne fait pas aussi « solide ». Chacune des 26 lettres de l’alphabet comporte une instruction Basic préprogrammée accessible en deuxième fonction, et grâce à ce grand écran, l’édition des programmes s’en trouve facilitée. Environ 1 an plus tard, en 1984, mon frère me propose que je lui rachète son Casio pour le remplacer par un Canon X-07. C’est une machine bien plus volumineuse, au format A5, sans pavé numérique, mais d’un autre côté il possède toute une série de fonctions qui intéressent plus mon frère pour s’amuser que pour travailler : sonorités, dates et heures, sauf erreur il y a le langage machine etc.

     

    Voilà donc comment j’ai enfin eu, d’occasion, mon premier ordinateur de poche, à 20 ans, soit 4 ans après avoir découvert le premier modèle du genre.

    Et je ne le regrette pas. Les derniers temps, le peu d’argent que je gagnais passait dans mon équipement de montagne et de camping, et quand le virus m’a repris, j’ai eu l’occasion d’avoir une excellente machine qui m’a suivi durant mes études à l’école polytechnique. Moi qui croyais en avoir besoin à tout bout de champ pour faire d’innombrables calculs, je m’étais un peu trompé. En fait je l’utilisais surtout pour faire l’image d’une fonction, c'est-à-dire le fameux programme de trois lignes qui calcule y(x) pour chaque x, allant de -10 à 10, par exemple. Plus tard, quand on a abordé le calcul matriciel, j’ai écrit un programme de résolution des matrices (addition, produit, inverse, déterminant) assez conséquent. En fait les programmes que j’écrivais devenaient de plus en plus longs. J’ai donc acheté les 3 modules d’extension de mémoires de 4 ko, ce qui m’en faisait 16 ko. Quand on pense qu’à l’époque les ordinateurs familiaux avaient 64 ko, par exemple le fameux Commodore 64, les petites machines les talonnaient vraiment de peu.

    Je me rappelle qu’à maintes reprises mes collègues étudiants faisaient des remarques un brin méprisantes, du style : « Mais à quoi ça peut bien te servir d’avoir un ordinateur de poche !? ». « Mais pardi, pour calculer plus facilement ! ». Ils ne comprenaient pas qu’on puisse être passionné de programmation et d’informatique. A l’époque, les deux étaient confondus, il n’y avait d’informatique que par la programmation. Sur les ordinateurs de l’école, il n’y avait aucun programme, sauf le « filer ». Il fallait tout écrire soi-même. C'est-à-dire exactement la même chose que sur mon ordinateur de poche. Sauf que celui-ci était d’un format et d’une utilisation beaucoup plus pratiques et adaptés à mes besoins.

     

    Photo 5 : Casio PB-700

     

    Photo 6 : Canon X-07

     

    Une anecdote de mes études

     

    Je me souviens d’une anecdote qui me faisait marrer chaque fois qu’il fallait calculer quelque chose. Parmi mes collègues étudiants, une grande partie d’entre eux avait acheté une vraie calculatrice scientifique, et programmable (puisque apparemment c’était utile voire indispensable) et n’avait rien trouvé de mieux que la HP 11C. Personne n’avait pris la HP 41 car c’était pour les mordus fortunés, ni une Casio ou une Sharp. Je me demande qui les a conseillés de prendre ce modèle, mais assurément ce n’est aucun de ces étudiants. La preuve. Pour ceux qui connaissent, cette machine s’utilise en Notation Polonaise Inverse, la fameuse RPN. Non seulement pour la programmation, mais aussi pour effectuer la moindre addition. A l’époque, je trouvais cela compliqué et cela ne m’intéressait pas. Or donc, à chaque fois qu’il fallait utiliser sa calculatrice, on assistait à l’étrange comportement suivant : les uns se grattaient la tête, les autres essayaient de deviner au dernier moment comment cela marchait, la plupart allait demander comment on faisait au seul gars un peu sérieux qui avait pris la peine d’étudier sa machine (faut dire que le manuel fait plus de 200 pages A4), et que ce n’est pas évident du tout. En tout cas, c’est beaucoup moins facile que le Basic des ordinateurs de poche. Les derniers abandonnaient et attendaient que le premier de classe leur fournisse la réponse.

     

    Pendant ce temps, je prenais mon Casio PB 700, je modifiais la deuxième ligne de mon programme le plus courant, celle qui contient : y=…… puis je faisais tourner le programme et le tour était joué. J’avais fini bien avant les autres et je pouvais continuer à me marrer, euh… je veux dire, à faire mon travail.

    Mais pourquoi donc tous ces gogos ont-ils choisi cette machine qu’ils ne savaient pas utiliser, et tous la même. Mais par esprit de groupe, bien sûr ! Pour faire comme tout le monde. Ce n’est pas parce que ces gens étaient à l’école polytechnique qu’ils étaient forcément intelligents ou débrouillards.

     

    En première année, nous avions des cours d’informatique, c'est-à-dire de programmation. Et voilà que le prof nous enseigne le Fortran, puis le Pascal. Je ne comprenais pas que l’on puisse encore utiliser un langage aussi archaïque que ce Fortran. « Mais c’est parce que c’est très structuré, voyons ! ». J’ai vu, et j’ai jugé. Pour le Pascal, cela allait un peu mieux, car plus évolué, mais quand je pense à la façon dont on osait nous enseigner cela : une catastrophe ! Je pense qu’il y a vraiment des gens qui s’ingénient à rendre tout ce qu’ils disent incompréhensible, jaloux de leur savoir, comme s’ils s’évertuaient à faire « exeprès », comme on dit chez nous, pour que les étudiant ne comprennent rien. Ce qui me révoltait par-dessus tout c’était de voir que tous ces messieurs prenaient de haut le langage Basic, et ceux qui l’utilisaient, alors que je savais que le Basic de mon Casio était déjà plus performant que leur chenis de Fortran et de Pascal. Maintenant, après toutes ces années de programmation, je puis affirmer que c’était vraiment le cas.

     

    Photo 7 : HP 11C

     

    Photo 8 : HP 41CX

     

     


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